Le cadre juridique de la sécurité nationale : panorama institutionnel et normatif


La sécurité a toujours été au centre des discussions au niveau national. Déjà après la victoire de l’armée indigène sur l’armée napoléonienne en 1803 qui a conduit à la libération du premier peuple noir et des esclaves dans l’histoire de l’humanité, la préservation de l’intégrité du territoire contre d’éventuels envahissements des anciens colons a préoccupé les pères de la Nation. Pour y répondre, de nombreux Forts ont été construits dont celui du Cap Haïtien classé patrimoine de l’humanité en est un exemple.

Au fil de l’histoire nationale, le droit a toujours joué un rôle important dans la promotion de la sécurité nationale. Influencé par des décennies d’instabilité politique  et sociale, le cadre normatif et institutionnel de la sécurité a connu de nombreuses mutations en Haïti. Plus récemment, la montée des technologies de l’information et des communications a ajouté à la complexité du phénomène.

De prime abord, il convient de préciser que dans le cadre de ce travail, nous privilégions une conception de la cyber sécurité comme étant, du point de vue gouvernemental, un autre aspect de la sécurité nationale. Et de ce fait, elle ne doit pas être étudiée de manière isolée du reste des problématiques de la sécurité nationale.

2.1.1.   Panorama de la gestion institutionnelle de la sécurité

Tout au long de son histoire, la sécurité du pays a été confiée aux Forces armés d’Haïti. Toutefois, à cause des nombreux coups d’Etat perpétré par des hauts gradés de l’armée, dont le dernier en date contre le président Jean Bertrand Aristide en 1991 qui l’a forcé à s’exiler en terre étrangère, lequel a la suite de la restitution du pouvoir en 1994 a dissout l’armée pour la remplacer par la Police Nationale d’Haïti (PNH).

En mai 2012, le Ministère de la défense fut réactivé sous le leadership du président Joseph Martelly. Soit cinq années plus tard, l’armée fut remobilisée de manière effective par l’ex président Jovenel Moise.

À la suite de cette mobilisation, la mission de la sécurité nationale dans ses diverses manifestations s’est retrouvée confier à plusieurs institutions : Le Ministère de la Défense, le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique et le ministère de l’économie et des finances à travers l’Administration générale des douanes.

Le ministère de la Défense est l’organe de tutelle des Force des armées d’Haïti (FADH). Les FADH s’occupent de la défense militaire terrestre, maritime et aérienne du pays.

Le ministère de l’intérieur s’occupe de l’émigration et de l’immigration. Son rôle principal est de veiller à l’exécution des lois et mesures visant à garantir la sécurité intérieure de l’État, de préserver l’intégrité du territoire en contrôlant la rentrée des individus sur le territoire national et la protection civile en cas de catastrophe.

Le Ministère de la Justice et de Sécurité Publique a pour rôle d'organiser l'institution judiciaire, de contrôler les activités des cours, tribunaux et parquets et le fonctionnement des offices ministériels. La Police Nationale d’Haïti chargée de  prévenir les infractions et rechercher activement les auteurs pour les traduire devant les juridictions compétentes dans le délai fixé par la loi est placée sous tutelle de ce Ministère. 

L’Administration générale des douanes organe sous tutelle du Ministère de l’économie et des finances  a pour rôle de générer un revenu fiscal et des recettes ainsi de lutter contre la contrebande et le contrôle des biens qui entrent dans le pays.

2.1.2.   Le cadre normatif de la sécurité nationale

La sécurité nationale est pensée à travers deux approches principales : la défense civile et la défense militaire. La sécurité civile est gérée par le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique à travers la Police Nationale et le Ministère de l’intérieur par le biais des agents de la protection civile. Et la Défense militaire par la FADH.

En effet, selon les vœux de la Constitution de 1987 amendée, il ne peut exister que deux forces armées en Haïti. L’article 263.1 dispose :

« Aucun autre corps armé ne peut exister sur le territoire national. »

De ce fait, toutes les autres entités impliquées dans la sécurité nationale doivent faire appel à l’un ou à l’autre de ces corps et ne peuvent pas former d’autres groupes armés.

Il existe plus de 220 textes législatifs traitant de l’organisation, du fonctionnement et des règlements généraux des Forces Armées d’Haïti, dont le dernier en date est le décret du 26 octobre 2015 portant organisation et fonctionnement du Ministère de la Défense (MD) et les règlements internes des Forces Armées d’Haïti.

La police nationale est régie par Loi portant Organisation et Fonctionnement de la Police Nationale publiée dans Le Moniteur n° 103 du 28 décembre 1994 ainsi que les « Règlements intérieurs d’emploi des agents de la Police Nationale d’Haïti », datant du 25 août 1995. En plus des normes législatives, les décisions et résolutions du Conseil supérieur de la police nationale (CSPN) ont force obligatoire à tous les membres de l’institution policière.

Le fonctionnement du Ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales est défini par le Décret du 17 mai 1990 portant Organisation et Fonctionnement du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales publié dans Le Moniteur n° 48. L’immigration et l’émigration sont réglementées par le Décret du 26 décembre 1978 régissant l'Immigration et l'Emigration.

En plus du décret du 30 mars 1984 qui organise le fonctionnement  du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, d’autres textes juridiques tel que le décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire définissent le fonctionnement du système judiciaire dans le cadre de leur mission de répression des infractions qui portent atteinte à l’ordre public et la sécurité nationale. Enfin, il convient de mentionner la promulgation en date du 26 novembre 2020 par l’ancien président Jovenel Moise du décret sur l’Agence d’Intelligence Nationale (ANI) dont la première attribution est de collecter et de traiter les informations intéressant la sécurité nationale et la protection des intérêts fondamentaux de la Nation.

Le code douanier de 1987 régit les règles et procédures de dédouanement, de l'organisation et de l'administration de la douane en Haïti. L’article 4 du code dispose :

« Aucune marchandise ne peut entrer en Haïti, ni en sortir, si ce n'est par les bureaux des douanes, et seulement après accomplissement complet de toutes les formalités légales nécessaires à leur dédouanement. Cette disposition ne souffre pas d'exceptions, même à l'égard de marchandises exemptes de droits en vertu du tarif, ou exonérées en application du régime des franchises. Toute importation ou exportation effectuée en contravention à cette disposition est réputée frauduleuse et sera traitée comme telle. »

Cet article appliqué à la sécurité informatique peut servir à contrôler la rentrée sur le territoire national des outils électroniques qui représenteraient des menaces pour la sécurité nationale. C’est le cas par exemple, d’appareils qui sont réputés au niveau international avoir été fabriqué par des compagnies contrôlées par un gouvernement étranger dont les produits servent à espionner les citoyens d’autres pays.   

Comme nous l’avons noté, la plupart des textes normatifs de la sécurité nationale en Haïti date de la fin du 20e siècle. À cette période, les TIC, notamment Internet avaient une très faible pénétration dans le pays. Conséquemment, les menaces cybernétiques des TIC sur la sécurité nationale sont absentes de ces textes.  

2.2.        Le cadre juridique  de la cyber sécurité

L’apport des télécommunications à la sécurité nationale a été reconnue depuis la fin du 20e siècle. Cependant, la législation d’alors s’est limitée à octroyer les prérogatives aux instances chargées de la sécurité nationale d’utiliser les télécommunications sans prévoir des règles sur la protection des infrastructures technologiques du pays.   On a dû attendre la première décennie des années 2000 avant l’apparition du concept de la sécurité des réseaux informatiques dans la législation haïtienne.

Les articles 130 et suivants du décret-loi du 12 octobre 1977 qui accorde à l'état haïtien le monopole des services de télécommunications sont ainsi disposé :

Article 130- Les services de télécommunications contribuent à la sécurité nationale. Leur utilisation peut être provisoirement limitée aux fins de la défense.

Article 131- Les plans de télécommunications embrassent les études que propose la Secrétairerie d’Etat de l’Intérieur et de la Défense Nationale, sur la stratégie de la défense et la sécurité publique.

Article 132- Les services de télécommunications ont une priorité absolue, qu’ils fonctionnent dans les zones d’opérations ou sinistrées ou qu’ils assurent la liaison entre ces zones et le reste du pays.

Article 133- Les forces armées de la nation ont priorité pour l’utilisation du système national de télécommunications en cas de guerre ou troubles intérieurs ou dans tous cas d’urgence.

Article 134- Les forces armées et éventuellement les forces de sécurité publique peuvent relier leurs systèmes au réseau national des télécommunications quand des circonstances particulières liées à la sécurité nationale le justifient.

Article 135- La Secrétairerie d’Etat de l’Intérieur et de la Défense Nationale peut, en cas de guerre ou de troubles intérieurs ou de salut public, suspendre provisoirement les concessions, autorisations ou permis octroyés pour l’exploitation ou l’utilisation des services de télécommunications intérieures et internationales.

Article 136- En cas de guerre ou de troubles intérieurs seront réquisitionnées, s’il y échet, les installations de télécommunications en vue de leur utilisation.

D’ailleurs jusqu’au moment de la rédaction de ce document, Haïti ne dispose d’aucun plan national de cyber sécurité.

2.2.1.   Recensement des textes normatifs applicables à la cyber sécurité

Les réflexions stratégiques sur les systèmes d’information et la sécurité nationale à l’exception de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis n’ont pas été l’objet des préoccupations des Etats à travers le monde. Ce n’est qu’après les attaques contre l’Estonie que la plupart des pays ont commencé à penser la sécurité nationale en intégrant la sécurité des systèmes informatiques.

Comme l’on a fait remarquer plus haut, la sécurité des systèmes de télécommunications n’a pas fait partie de l’agenda des gouvernements haïtiens. Toutefois, cette tendance a connu un début d’évolution dans le pays. Déjà en 2009, l’arrêté du 25 mai 2009 portant organisation et fonctionnement de l’OMRH qui, en son article 13, crée la Cellule de promotion de l’administration électronique. Quoique la cyber sécurité n’était pas explicitement prévue par ce décret, mais elle est un élément indispensable à la mise en œuvre de l’administration électronique. L’arrêté du 9 juillet 2014 créant le Comité interministériel sur les technologies de l’information (CITI) qui est censé se charger du développement du plan national de la cyber sécurité. 

La loi du 14 février 2017 sur la signature électronique adaptant le droit de la preuve aux technologies de l’information et élargissant les compétences du Conseil national des télécommunications (CONATEL) est innovatrice en ce sens qu’elle est la première à reconnaitre l’admission des preuves électroniques dans le système juridique haïtien, mais aussi le renforcement de la sécurité des transactions contractuelles en ligne.

 La loi du 16 février 2017 sur les échanges électroniques a pour objectif d’établir le cadre légal devant s’appliquer à toute information de différentes natures, prenant la forme d’un message de données utilisé dans un contexte de relations contractuelles ou extra contractuelles, civiles ou commerciales. Ce texte est inspiré de la loi type de la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDI) et de la résolution 51/162 de l’Assemblée générale de la commission des Nations Unies pour le droit du commerce international du 16 décembre 1996 recommandant l’adoption de loi type.

Le décret du 6 janvier 2016 reconnaissant le droit de tout administré de s’adresser à l’Administration publique via les moyens électroniques est le premier texte juridique a invité l’administration publique, qui comprend : l’Administration centrale de l’Etat, les services déconcentrés, les collectivités territoriales et les organismes autonomes (art 2) à prendre des mesures pour s’assurer de la disponibilité de l’accès, de l’intégrité, de l’authenticité, de la confidentialité et de la conservation des données, de l’information et des services traités.  Il convient de mentionner la circulaire portant sur l’utilisation des courriers électroniques professionnels, des noms de domaines et des sites internet (juin 2014) dont l’un des objectifs est d’éviter des usages qui pourraient porter atteinte à la sécurité de l’Administration publique.

Le décret du lundi 26 Octobre 2015 portant organisation et fonctionnement du Ministère de la Défense en son article 39 dispose :

Article 39.- La Direction des Systèmes d’Information et de Communication a pour attributions de :

1) Assurer la mise en place et la gestion des systèmes d’information et de communication du Ministère ;

2) Assurer la maintenance et la mise à jour des systèmes d’information et de communication du Ministère ;

3) Définir et mettre en œuvre des programmes de formation en la matière;

4) Travailler de concert avec la Direction de la Recherche et Planification Stratégique dans la recherche et le développement de logiciels sécuritaires en la matière ;

5) Evaluer, en fonction des avancées technologiques, l’état des systèmes d’information et de communication du Ministère, et produire des recommandations aux fins d’adoption de mesures correctives et d’adaptation ;

6) Détecter en matière de lutte contre la cybercriminalité toute agression ou attaque tant interne qu’externe susceptible de corrompre ou détruire les systèmes d’information et de communication, de mettre en péril la sécurité nationale ;

7) Produire des rapports mensuels, trimestriels, annuels et circonstanciés en la matière ;

8) Travailler en collaboration avec l’institution militaire en la matière ;

9) Contribuer à la définition des politiques de défense du Ministère ;

10) Travailler en synergie avec les autres Directions techniques du bureau central, les Directions Techniquement Déconcentrées et les Directions Territorialement Déconcentrées.

En 2020, l’ancien président Jovenel Moise a publié  le décret du 26 novembre créant l’Agence Nationale d’Intelligence dont l’un des objectifs est de concourir à la sécurité nationale par la prévention et la répression de la criminalité informatique.

On ne saurait omettre d’indiquer qu’en 2015 un projet de loi sur la cyber criminalité et de la cyber sécurité a été présenté au grand public par le CONATEL. Et qu’il existe un projet de loi portant création, organisation et fonctionnement de la Direction générale des télécommunications et des nouvelles technologie a été adopté en Conseil des Ministres, au Palais National, à Port-au-Prince, le 28 février 2018. Cet organisme à travers sa direction de sécurité sera responsable de la défense des ressources technologiques du pays contre les trafiqueurs internes et externes. Elle s’assurera que toutes les entités gouvernementales sont au courant des techniques et pratiques qui améliorent la sécurité des ressources technologiques de l’État.

Dans le secteur bancaire, en vertu de ses prérogatives la Banque centrale d’Haïti à travers la circulaire no 126 sur les règles en matière de sécurité informatique a fixé les normes et standards en la matière dans le système bancaire haïtien. 

En conclusion, l'évolution du cadre juridique et institutionnel de la sécurité nationale en Haïti illustre de manière frappante l'impact des avancées technologiques sur la définition même de la sécurité. Des débuts de la protection territoriale jusqu'à l'intégration de la cyber sécurité dans les dispositifs de défense, cette évolution reflète la nécessité d'adapter constamment les lois et réglementations pour faire face aux nouveaux défis. La montée en puissance des technologies de l'information et des communications a modifié la nature des menaces et des vulnérabilités, exigeant une attention accrue envers la protection des données, des infrastructures et des citoyens. Le chemin parcouru jusqu'à présent met en évidence le besoin continu de développements législatifs et institutionnels robustes pour relever les défis futurs de la sécurité nationale, tout en garantissant une cybersphère sûre et résiliente.

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