Les rapports entre le droit international et le droit interne en Haïti

 


Le rapport du groupe d’experts crée par la résolution 2653 (2022)  du Conseil de sécurité de l’ONU a suscité plusieurs questions sur le rapport  entre le national et l’international. Tout au long du texte, le groupe d’experts n’a cessé de rappeler que l’insécurité persistante viole le droit international des droits de l’homme. Tout laisse croire que le gouvernement haïtien en plus de créer une situation infernale pour son propre peuple, la violence prévalente entretenue par l’élite politique et économique est un manquement flagrant de l’Etat à ses obligations en vertu du droit international. 

Pour bien comprendre la situation haïtienne en 2023 au regard du droit international, il convient de rappeler les rapports entre le droit externe et le droit interne.

L’introduction des normes internationales dans le droit interne, c’est-à-dire la manière dont le droit international devient applicable en droit interne fait l’objet de deux modèles théoriques principales : la théorie dualiste et la théorie moniste.

Selon la théorie dualiste, le droit international est radicalement différent du droit  interne. Cette différence n’exclut pas l’intégration du droit international en droit interne. Toutefois, cette intégration se fait par le biais d’un acte de « réception ». Cet acte de réception peut se faire par une procédure législative ou référendaire. À la suite de cette procédure, un traité international incorporé dans le droit interne par exemple pourra produire des effets de droit.

 La théorie moniste postule une vision unificatrice du droit international et le droit interne. Selon les tenants de cette théorie, le droit international est applicable de plein droit dans l’ordre interne puisqu’aucune règle de fond ne s’y oppose.

Cependant ni la théorie moniste ni la théorie dualiste ne préjuge la question de la hiérarchie qui existe entre le droit international et le droit interne. Elles ne prédéterminent pas également à quel niveau peut-on engager la responsabilité de l’Etat. En effet, un pays peut bien adopter un système moniste soit avec primauté du droit international soit avec primauté du droit interne. Un système dualiste peut prévoir la primauté du droit international ou celle du droit interne.

                              
Les rapports entre le droit international et la loi haïtienne

Au regard des rapports entre le droit international et le droit interne, la Constitution a fixé des règles précises. Le président de la République demeure le négociateur et signataire des traités, conventions et accords internationaux. Autrement dit, ni le pouvoir judiciaire ni le pouvoir législatif ne sont habilités à contracter des obligations internationales au nom d’Haïti. Cette prérogative est l’exclusivité du pouvoir exécutif. Toutefois, leur intégration est soumise à la ratification de l’Assemblée nationale. Cela revient à dire que l’intégration des normes internationales dans le droit interne ne se fait pas par vote successif des différentes chambres mais par la réunion des deux chambres en une seule assemblée.

La Cour de Cassation dans son arrêt - no03/1992-Pouvoir Exécutif Vs Pouvoir Législatif en date du 27 Mars 1992, opposant le Pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sur la signature d’un Protocole d'Accord signé à Washington le 23 février 1992 par les présidents de la chambre des députés et du Senat à l’époque, a reconnu que :

« Les parlementaires ne sont pas autorisés à signer de leur propre chef, sans un mandat exprès de l'Exécutif, un accord pouvant lier l'Etat Haïtien et son Gouvernement.

Les pouvoirs de l'Assemblée Nationale sont limités et ne peuvent s'étendre à d'autres objets que ceux que la Constitution lui attribue spécialement.[1] » 

Cet arrêt de la Cour de Cassation entérine donc le pouvoir exclusif de l’Exécutif de signer des instruments juridiques internationaux au nom de la République d’Haïti.

Par ailleurs, en ce qui concerne la hiérarchie des normes, il ressort des articles 276 que la conception pyramidale des normes en Haïti se construit avec la Constitution en haut de l’échelle suivi – des Conventions, traités et accords internationaux – des lois – des décrets – et des autres actes réglementaires en bas de l’échelle. Aucun texte juridique d’origine international ne peut être contraire à la Constitution sous peine de ne pas être ratifié par le parlement. Dans le cas d’un litige sur les clauses d’une texte du droit international après sa ratification, il sera portée devant le Conseil Constitutionnel. Dans l’éventualité d’une déclaration de non-conformité des dispositions du texte avec la Constitution par le Conseil, elles ne seront pas applicables du fait de leur inconstitutionnalité.

Cependant, le contrôle effectif de la constitutionalité des lois se heurte à de nombreux obstacles, en raison de l’ineffectivité du Conseil constitutionnel qui selon les vœux de la Constitution est la seule entité capable de juger de la constitutionnalité des lois. Ce Conseil n’a jamais vu le jour malgré les dispositions de la Constitution prévoyant sa création depuis 1987.

Les traités, conventions et accords internationaux sont supérieurs aux lois nationales. Ils abrogent tacitement toutes les lois qui leur sont contraires même s’ils sont pris sous forme de Décret. Certainement, même ratifié par l’assemblée nationale, un texte juridique d’origine externe ne saurait avoir effet direct dans le droit interne qu’après sa publication dans le journal officiel « Le Moniteur ».

Les dispositions de la Constitution sur l’intégration du droit international dans le droit interne se retrouvent aux articles 139, 276 et suivants et se lisent ainsi :

Article 139: Il [Le président de la République] négocie et signe tous traités, conventions et accords internationaux et les soumet à la ratification de l’Assemblée Nationale ;

Article 276:L’Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun Traité, Convention ou Accord Internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution. ;

Article 276-1: La ratification des Traités, des Conventions et des Accords Internationaux est donnée sous forme de Décret. ;

Article 276-2: Les Traités ou Accord Internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires 

Il apert que le droit international une fois ratifié par l’Assemblée nationale et publié dans le journal officiel « Le Moniteur » est susceptible d’être invoqué devant les juridictions nationales. Par contre plusieurs problèmes restent non résolus. L’un des proéminents est l’effectivité de l’intégration des textes juridiques d’origine externe dans la législation nationale. En effet, la plupart des conventions internationales importe de prendre des mesures afin de les transposer, compléter et mettre en œuvre.  Par exemple, le deuxième paragraphe de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :

« Les États Parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur ».

Dans son observation no 31, le Comité des droits de l’homme (CDH) considère qu’en vertu de ce paragraphe les Etats parties doivent prendre des mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres appropriées pour s’acquitter de leurs obligations juridiques. Ils ont pour obligations également de sensibiliser les fonctionnaires et les agents de l’Etat, aussi bien que la population. L’absence de telles mesures peut handicaper l’application dans la pratique des droits fondamentaux reconnus par le droit international. Par exemple, il est reconnu que les États doivent prévoir des sanctions contre les violations des droits fondamentaux mais aussi des mécanismes de réparation et établir une procédure administrative pour porter plainte contre les abus. 

Dans le cas d’Haïti, le droit international et régional des droits fondamentaux, ayant pour origine les règles onusiennes et interaméricaines, fait partie intégrant du droit interne. La situation actuelle peut être imputée aux manques de mesures prises par l’Etat pour donner pleine réalisation à ses obligations contractées au niveau régional et international. Enfin, plairons nous à rappeler que la conjoncture pourrait être différente, si les élites politiques et économiques en Haïti étaient mues par le respect des droits fondamentaux et animé par une volonté ferme de les renforcer.



[1] L’arrêt peut être consulté entièrement à l’adresse : https://juricaf.org/arret/HAITI-COURDECASSATION-19920327-031992

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